« Toutes les histoires commencent par "Il était une fois..." et se terminent par "ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Toutes les histoires comportent une princesse, un prince et un roi aux intentions douteuses. Toutes les histoires ont une bonne fin. Tout le monde recherche le célèbre "happy end" et c'est pour cela que les histoires fonctionnent tant, parce qu'elles nous donnent de quoi rêver, de quoi espérer un peu plus longtemps. Mais mon histoire n'est pas comme toutes les autres. Ce n'est pas l'histoire d'une fille qui rencontre le prince charmant et qui vit heureuse à tout jamais. C'est juste l'histoire d'une fille comme une autre qui tente de trouver sa voie. Et ça, c'est l'histoire de ma vie. »

18 mai 1994 Mon enfance ? La plus banale qui soit. Des parents aimants et un petit frère agaçant. Un foyer chaleureux dans un petit quartier, on ne pouvait rien de demander de plus. Les voisins avaient un garçon, Rafaël, avec qui j'adorais jouer. Je me revois, gamine, pénétrer dans leur grande maison bien rangée et je me rappelle de l'odeur de gâteaux imprégnée sur chaque recoin de leur demeure. Je me souviens, levant le bras à peine plus haut que la table de la cuisine pour tenter d'attraper désespérément un des délicieux cookies de la voisine, et je me souviens courir dans le jardin à jouer des heures et des heures avec Rafaël. A vrai dire, je passe plus de temps chez eux que chez moi. Je me rappelle aller à l'école, avec mon petit sac à dos rouge, et je retrouve toujours Rafe devant la cour de récréation. Je me souviens qu'à chaque fois que j'ai des problèmes, que quelqu'un me cherche des ennuis, il vient toujours pour me défendre. Rafe, c'est mon meilleur copain.

4 janvier 1997 Je ne dois pas avoir plus de dix ans lorsque je sors de l'école en courant pour monter dans la voiture des parents de Rafaël. Sa mère me sourit gentiment, me dit quelques mots, et nous demande d'attacher nos ceintures. Je regarde Rafe et je souris, et lui, il me prend la main. Mes parents travaillent trop pour venir me chercher à l'école, alors je reste chez Rafe jusqu'après le dîner, et mes parents viennent me chercher tard le soir pour aller me border. Je suis toujours chez Rafe. Je mange chez lui, je fais mes devoirs avec lui, parfois je dors même chez lui. J'aime bien sa maman. Elle est gentille, et elle fait toujours de super gâteaux. Alors que ma maman à moi elle est jamais là. Une fois, on était au supermarché, on faisait les courses et je suis partie jouer avec les autres enfants. Mais à force, j'en ait eu assez de jouer avec eux et je suis sortie, je l'ai cherchée partout. Je n'ai su que plus tard qu'elle m'avait oubliée là-bas. La maman de Rafe, elle ne m'oublie jamais, elle. Et même que Rafe, c'est mon amoureux.

9 septembre 2004 Sept ans que je suis avec Rafe. Enfin, c'est un bien grand mot. On sort ensemble, on ne sort pas ensemble, j'avoue que je suis perdue. J'aime être avec lui, en fait je l'aime tout court. Il y a des moments ou on est super bien ensemble, et puis sans savoir pourquoi on se dispute pour quelque chose qui n'a pas d'importance. Et brusquement, il claque la porte (le plus souvent c'est moi qui part, vu que je suis tout le temps fourrée chez lui) et puis il décide qu'on est plus ensemble. Et ce crétin, pour me rendre jalouse, il aime aller voir d'autres filles, me faire comprendre que je suis remplaçable. Même si je ne le montre pas, il me rend folle de faire ça. Alors de mon côté, je fais de même, je vais voir ailleurs, je fais en sorte qu'il me voit flirter avec d'autres que lui. Et quand il le remarque enfin, il se précipite vers moi, m'écarte rapidement du mec avec qui je suis et se met à le frapper de toutes ses forces. Et moi, j'essaie de l'arrêter, je lui crie de partir, mais il ne m'écoute pas. Il faut le séparer de force, le pousser vers la sortie pour qu'il s'en aille. Alors on va chez lui, et je soigne ses blessures. Puis il m'embrasse, et il me dit que ce n'est rien, que ça va passer. Il me dit que jamais il ne me laissera aller vers un autre homme parce qu'il m'aime tellement qu'il tuerait pour moi. C'est dans ces moments-là que je me rends compte qu'il est toute ma vie, même si ses mots m'effraient parfois.

31 octobre 2005 Le peu de fois où je rentre chez moi c'est pour entendre mes parents se hurler dessus, se jeter des assiettes à la figure et s'insulter à tout bout de champs, avant qu'un des deux ne s'en aille, claque la porte et démarre la voiture en trombe. Je ne le supporte plus. Mes parents ne sont pas souvent présents et le peu qu'ils le sont, ils ne peuvent pas rester ensemble. Un jour, ma mère me prend à part dans la cuisine et me dit que c'est terminé, que mon père et elle divorcent. Comment ça, ils divorcent ? Après toutes ces années ? Je n'en reviens pas. Ma mère m'avoue alors que cela fait maintenant des années qu'ils ne s'entendent plus, qu'ils font semblant, pour moi. Comment j'ai pu ne rien remarquer ? Et c'est là qu'elle me reproche de passer tout mon temps chez "ce Rafaël". Je déteste le ton qu'elle emploie pour parler de lui. Alors je m'énerve et débute une violente dispute, et je décide de plier bagage. Je suis majeure, alors je fais mes valises et je pars de chez moi. Sans même réfléchir je me dirige vers la maison voisine, chez Rafe. Je frappe à la porte et sa mère me prend dans ses bras, me dit que je suis ici chez moi. Alors je monte dans la chambre de Rafaël et il ne m'en faut pas plus pour m'effondrer en larmes. Ce que j'aime chez lui, c'est qu'il ne cherche pas à comprendre ce qui ne va pas, il m'allonge tout simplement sur le lit et m'enlace en me caressant les cheveux. Tout le monde est d'humeur à faire la fête ce soir, mais quelque chose vient de se briser en moi.

22 juin 2007 Rien ne va plus. Je n'habite plus chez Rafaël, j'ai pris un petit appartement en ville et me suis trouvée un petit boulot en attendant de pouvoir payer mes études de médecine. Rafaël est de plus en plus distant. Moi, je l'aime à en crever mais je me dis qu'il en a peut-être marre d'être avec moi depuis toutes ces années. Un soir, je ne sais pas pourquoi, j'ai envie d'aller le voir. Je suis devant chez lui, il pleut, j'ai froid et suis trempée. J'ai peur. Je frappe une, deux fois à la porte et personne ne vient m'ouvrir. Alors instinctivement, je tourne la petite clé qu'il m'a donnée dans la serrure, et la porte s'ouvre enfin. Mais là, je ne vois rien. Plus un meuble, plus un tableau sur les murs, plus rien. Je fais le tour de la maison en courant, vais dans la chambre de Rafaël, mais tout est vide. Je redescends et m'apprête à partir, lorsqu'un papier m'interpelle sur ce qu'il reste du comptoir de la cuisine. C'est une note, un dernier mot qui dit : "je suis désolé, oublie-moi". Je me laisse glisser contre le mur, le papier entre les mains. Je ne ressens plus rien.

2010 Voilà maintenant deux ans que j'ai commencé mon internat de chirurgie. Je pense avoir assez économisé pour me payer l'internat, en plus de mon petit appartement du centre. Aujourd'hui, rien n'a changé. Je n'ai gardé aucun contact avec mes parents, et je n'ai plus jamais eu de nouvelles de Rafaël. Pourtant, je ne m'en suis jamais remise complètement, et même si j'ai recommencé à vivre, j'ai parfois encore l'impression d'être évincée du reste du monde, comme si tout allait plus vite et que moi j'étais à la traîne.

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