Je ne me souviens pas du jour où j’ai rencontré Rafe, mais je me souviens l’avoir regardé en sortant de la voiture tandis que la nourrice sortait les courses du coffre, alors qu’il jouait au ballon devant sa maison. C’était comme si c’était la première fois que je le voyais. On était gosses à ce moment-là, mais quand il a levé les yeux vers moi, il a sourit et il m’a fait signe de venir. Il ne m’a suffit que d’un regard à la nounou pour qu’elle accepte que j’aille jouer chez le voisin, et à peine étais-je arrivée à lui qu’il me disait « Tiens, attrape » et tout de suite, il s’est enfuit à l’arrière de la maison, moi sur ses talons. Ce sont les seules choses dont je me souviens ce jour-là, mais chaque jour s’est passé un peu de la même manière depuis. Toute notre vie, nous avons grandi ensemble. Je me rappelle être à l’école, une après-midi, on devait avoir à peu près dix ans, et un garçon m’embêtait, m’insultait. Rafaël a vu ce qu’il m’arrivait et tout de suite il a courru vers moi, écarté l’autre garçon d’un grand geste qui l’a fait tombé, m’a pris la main et m’a emmené loin. On s’est caché derrière des buissons, il m’a serré dans ses bras et c’est la première fois où l’on s’est embrassés. Enfin, comme deux gamins s’embrassent quand ils ont dix ans. En grandissant, nous sommes toujours restés ensemble. Il était tout pour moi, mon meilleur ami, celui que j’aimais, il était le seul être important dans ma vie. J’étais toujours chez lui, et ne revenait que très rarement chez moi. Nous étions au lycée à présent, et Rafe aimait beaucoup me rendre jalouse, s’amuser à flirter avec d’autres filles devant moi pour me faire comprendre que je ne valais pas grand-chose à ses yeux. Et le pire c’était que ça fonctionnait à tous les coups, à chaque fois il me rendait folle de rage. Folle de lui, aussi. Mais je ne savais jamais comment agir avec lui, car à la moindre dispute il décidait que nous ne devions plus sortir ensemble, et je partais toujours en claquant la porte. Mais un soir, je ne me suis pas laissée faire. Nous étions tout un groupe à jouer au billard et alors que Rafe était parti commander les boissons, je me suis mise à jouer avec un autre que lui. On ne faisait rien de mal et, mais ça a commencé à aller plus loin et Rafaël n’a pas attendu plus longtemps pour intervenir. Il s’est jeté sur lui si vite que j’ai à peine eu le temps d’éviter le coup qui s’est écrasé sur le visage du garçon. Je criais, tout le monde s’était regroupé autour de nous, les priait d’arrêter mais Rafaël, rien ne l’arrêtait. Il continuait de le frapper, encore et encore, j’ai bien cru qu’il allait le tuer. Il a fallu les séparer de force. Furieuse, j’ai raccompagné Rafe chez lui, sans même échanger un mot, je l’ai assis sur une chaise et j’ai nettoyé ses blessures. Mais j’étais tellement énervée que je n’ai pas pu m’empêcher de laisser échapper mes larmes. Je les effacais rapidement d’un geste de main, mais il m’avait remarqué. Mais doucement, voilà qu’il me prend par la taille et qu’il me rapproche de lui. Et comme d’habitude, je me laisse faire, je le regarde et j’en oublie presque tout ce qui a pu se passer. Il sourit doucement, et d’un geste il essuie mon visage. « Je t’aime, tu le sais ça, non ? Jamais je ne laisserai quelqu’un s’approcher de toi comme ce gars l’a fait. Jamais, tu m’entends ? » Il sait que je ne peux rien lui refuser, alors il se redresse doucement et il m’embrasse. C’est à ce moment que j’ai compris que peu importe ce qui se passerait, ce serait toujours lui et moi. On doit avoir vingt ans environ, maintenannt. Il habite toujours au même endroit mais j’ai pris un appart dans le centre. Je ne sais pas, mais depuis quelques temps, il n’est plus le même. Alors un soir, je décide d’aller régler ça. Je sors de chez moi et je me dirige à pas de loups chez lui. Il pleut, je suis trempée, mais je m’en fiche, je veux savoir ce qu’il se passe. Je frappe, mais personne ne réponds. Alors je tourne la clé dans la serrure, et la porte s’ouvre, me laissant, anéantie. J’entre, je regarde autour de moi, mes yeux font cinq ou six fois le tour de la pièce en quelques secondes. Il n’y a plus rien. Rafe est parti. Il laisse derrière lui un simple mot, il me demande de l’oublier, de le pardonner. Et aujourd’hui encore, trois ans après, je n’ai jamais eu de nouvelles de lui.