« Trish j'arrive pas à dormir. » Une petite fille d'à peine six ans, les yeux rougis par le sommeil et les cheveux blonds en bataille vint vers moi tandis que je remplissais des papiers. Hésitante, elle resta dans l'encadrement de la porte, par peur que je la grondasse certainement. Je lui adressai un léger sourire tandis que je posai mon stylo sur ma feuille de papier. Je me levai et vint m'accroupir devant elle. « Ce n'est pas grave tu sais Lou. Tu n'as pas à avoir peur de moi tu le sais. » Je me relevai, lui attrapai la main et elle me suivit jusqu'au canapé. Je m'assis avant de l'installer sur mes genoux. Lou n'avait pas eu une enfance facile. Bien qu'elle n'eût que six ans, elle avait déjà vécu des choses difficiles. Son père la battait et depuis, elle avait peur de tout le monde. Peur que l'angoisse revînt la tirailler et lui ôter ses espoirs. J'étais son assistante maternelle depuis deux mois et elle n'avait encore trouver aucune famille qui lui correspondît. Beaucoup de familles n'arrivaient pas à prendre soin de cette petite fille qui ne riait et ne parlait presque jamais, se réveillait en criant la nuit parce qu'elle avait fait des cauchemars ou qui refusait qu'on l'approchât ou la touchât. Pourtant, je la comprenais. Je savais ce qu'elle vivait et ce n'était pas simple, surtout pour une petite fille de cette âge. Ce soir-là, je l'avais prise chez moi en attendant de la ramener dans son foyer le lendemain. Ce n'était vraiment pas simple. Tandis qu'elle se blottissait dans mon cou, je lui caressais les cheveux. « Je sais que c'est dur Lou. Que lorsque tu essaies de dormir, un tas d'images doivent te venir à l'esprit. Mais tu n'as plus à avoir peur d'accord ? Ton papa ne te fera plus jamais de mal. » Comment pouvait-on rassurer une enfant ? Surtout lorsqu'on savait par expérience que rien ne pourrait effacer les angoisses d'un enfant si ce n'était le temps qui passait. Cependant que Lou fermait ses yeux et sombrait dans un sommeil semé de cauchemars, je me remémorai ma propre expérience.
Je me souviens de ce jour comme si c'était hier, pensai-je. J'avais dix ans à l'époque. J'étais certes un peu plus âgée que Lou mais je n'en étais pas moins encore une petite fille. A l'époque, j'habitais à Glasgow. Cette nuit-là, je m'étais réveillée en sursaut par un bruit qui avait interrompu le silence de la nuit. J'étais descendue à pas de loup dans le salon. Seule la lampe était allumée. J'étais rentrée dans la pièce et avait marché dans la quasi obscurité lorsque j'avais trébuché. Lorsque je m'étais relevée, j'avais regardé à mes pieds avant de crier. J'avais les mains pleines de sang et ma mère gisait sur le sol, les yeux ouverts et vitreux. Je m'étais jetée sur elle et l'avait secouée en vain. Elle était définitivement partie. J'avais alors sangloté pendant une minute, une heure, je n'en savais rien. Ce n'était que lorsqu'un plainte étouffée m'était parvenue que j'avais semblé reprendre conscience. J'avais alors tourné la tête pour voir mon père sur le sol en train d'agoniser. Je m'étais dirigée vers lui en courant et lui avait attrapé la main. Il avait prononcé un dernier « je t'aime » avant de sombrer pour toujours. Plusieurs minutes avaient passé, ou plusieurs heures peut-être. J'avais fini par m'endormir au dessus du corps de mon père. Je fus réveillée par la police et une arme à la main. Personne n'avait su ce qu'il s'était réellement passé dans cette maison et jusqu'à l'âge de mes vingt cinq ans, dans l'esprit des gens, je n'étais que Trish, la petite fille qui avait tué ses parents. J'allais de foyers en foyers, de familles d'accueil, en familles d'accueil, de galères en galères... Ce n'était même plus une vie. Juste un semblant de ce qui ressemblait bien plus à un affreux cauchemar. Je revoyais sans cesse le corps de mes parents dans mes cauchemars. Je me voyais même leur tirer dessus. J'en était venue à un stade où je doutais réellement de mon innocence. Sinon, pourquoi m'étais retrouvée avec une arme dans la main ? C'était insensé. A l'âge de vingt-cinq ans, je décidai de déménager à Aberdeen et de laisser mon passé dernière moi, aussi loin que cela fut possible.
« Tu es si belle Trish. » Duncan, mon fiancé, se trouvait dans l'embrasure de la porte. Il rentra, déposa son manteau sur une chaise et vint se diriger vers moi. Il me déposa un baiser le front pour ne pas réveiller Lou. « Tu m'as manqué Duncan. Comme tu vois, on a de la compagnie. » Je lui adressai un sourire. Sa présence me réconfortait. Plus le temps passait, plus je me rendais compte que j'avais besoin de lui comme d'une drogue. Il était ma drogue. « Un jour, nous aurons notre enfant. Tu es la femme et la mère parfaite. » Je me renfrognai. Duncan ne savait rien de mon passé. S'il le connaissait comment aurait-il réagi ? Je cachais mon trouble derrière un sourire pour ne rien lui montrer. « J'ai hâte d'être Madame Duncan MacKingsley. Je t'aime chéri. » Un jour je lui dirai. Je le promets.